Tout inventer

Une difficulté majeure du film de fiction est que l'image et les sons ne seront que ce que le réalisateur aura décidé, ici pas de réel vécu comme soutient, comme c'est le cas en reportage. Les rapports psychologiques et humains sont à recréer; les personnages doivent être crédibles, et donc les situations doivent être crédibles. Par ailleurs l'écriture du scénario ne doit pas ignorer le côté spectacle du cinéma de fiction, et l'important est de le conserver, donc de travailler l'histoire dans cette perspective. N'oublions pas que tout autant que l'histoire, la manière de la raconter importe. De cette conception on peut déduire que le recours à la narration off est à bannir, en ce sens que la voix off substitue le dit au non-dit qui est l'essence de la fiction.

Ordre chronologique et ordre narratif

L'ordre chronologique c'est l'ordre des évènements: au cinéma ce mode d'organisation pose deux problèmes: des évènements peuvent se produire simultanément et il est difficile de reproduire cela d'une part, d'autre part la succession dans le temps n'est pas toujours satisfaisante pour maintenir l'intérêt dramatique. L'ordre narratif est donc fréquemment amené à bouleverser la chronologie par le recours au flash back ou au flash forward. L'ordre narratif est celui du film

1.1 L'action

Le scénario est l'élément de base de la communication par le film. C'est le résultat d'une volonté de raconter une histoire à un public dans un but qui dépasse largement le simple "faire connaître une histoire qui s'est produite" (exemple Le dernier empereur de Bernardo Bertolucci raconte la vie du dernier empereur de Chine, mais montre aussi comment un homme puissant peut être la fois victime du destin et de lui-même). Il convient donc pour tout scénario de trouver un propos. On fait un film dans un but qui n'est pas seulement de faire se mouvoir des personnages. Ce but existe pour tout film, qu'il recherche le comique ou l'émotion, et indépendamment, mais simultanément à l'histoire. Il existe donc dans le scénario une double composante: - celle relative à l'histoire: c'est l'élément dramatique ou proposition dramatique - celle relative au propos ou au message à transmettre: c'est la proposition thématique L'intrigue n'est pas nécessairement unique, peuvent co-exister une intrigue principale et des intrigues secondaires. Les composantes traditionnelles de la dramaturgie théâtrale se retrouvent: lieu, temps et action, mais la règle d'unité doit être entendue au sens large: l'unité d'action par exemple ne signifie pas une action unique: il peut exister une succession d'actions concourrant au même but et se suivant; il en va de même pour lei et temps. On peut plutôt parler d'homogénéité d'action, de lieu de temps Il ne faut pas perdre de vue que le spectateur s'identifie à l'action plus qu'à tel ou tel personnage.(cf le schéma greimassien) Le mouvement dramatique, c'est--dire le sentiment que l'auteur a que l'histoire avance ou stagne est contrôlé par l'auteur. "le même événement n'a pas le même impact affectif selon sa place dans le temps: l'anticipation d'une chose horrible soulève en nous la crainte, la voir se dérouler nous emplit de terreur; et, quand elle est devenue passé, notre seule émotion est la tristesse. Pareillement, une chose bonne que nous anticipons nous remplit d'espoir; au moment où elle se produit elle nous donne de la joie, et, a posteriori de la satisfaction. Ainsi l'événement seul ne crée pas l'émotion. C'est sa place dans le temps qui la produit."(Pierre Jenn p.29/30 citant Eugène Vale

1.2 Les personnages

"C'est au travers de leurs actions que se dessinent leurs caractères É Sans action, il ne saurait y avoir de tragédie, tandis qu'il pourrait y en avoir sans caractèreÉ Ainsi le principe et si l'on peut dire, l'âme de la tragédie c'est l'histoire, les caractères viennent en second" Aristote Le principal moteur dramatique est le couple sujet/opposant Le sujet principal: -est perturbé par l'intervention de l'opposant (ex: le bon et le méchant) -perturbe l'ordre établi (ex Macbeth, Phèdre, Dom Juan). Les personnages sont alors mus par une force qu'ils ne peuvent contrôler Il peut y avoir une dilution de la fonction de sujet, assurée par une série ou une succession de personnages (comme dans Psychose). Il existe trois types de relations sujet/opposant -convergence d'intention vers un but commun: ils convoitent le même objet -impossibilité d'un compromis: ils sont ennemis et l'un veut nuire l'autre -existence d'un lien entre les deux: le père et le fils La construction des personnages: la tri-dimensionnalité du personnage C'est l'un des éléments fondamentaux du récit. Dès l'origine de la dramaturgie, dans le théâtre grec, on raconte des histoires que les personnages véhiculent; dans le même temps ils font progresser l'histoire. Le personnage a une triple dimension: -dimension physionomique: c'est l'apparence du personnage. Jeune ou vieux, laid ou beau, blanc ou asiatique, femme ou homme, ces données véhiculent chez le spectateur une information immédiate qu'il lit avec ses codes culturels. On voit cheminer un homme de la quarantaine plutôt élégant: il tient le bras d'une jeune femme de son âge: c'est sa femme, voire sa maîtresse; il tient le bras d'une femme bien plus âgée c'est sa mère. - dimension sociologique: c'est essentiellement l'attitude, le vêtement. Dans une grande salle un Conseil d'Administration: entre un homme en costume: c'est un retardataire, entre le même homme en jean et polo: il vient provoquer une rupture avec l'assemblée, entre le même homme en bleu de travail: il vient réparer une installation et s'est trompé de pièce. -dimension psychologique: c'est la complexité du personnage, ses émotions, ses sentiments, traduits par le dit, les mots, et le non dit, ses gestes, son comportement. Cette dimension s'élabore progressivement au cours du scénario. Il n'y a jamais d'a priori psychologique, à la différence des dimensions sociologiques et physiologiques qui reposent sur des codes culturels lus immédiatement -parfois avec des erreurs délibérément recherchées par le scénariste. Seuls le dialogue et l'action pourront véhiculer ces informations.. C'est alors qu'il convient de rechercher des moyens de projeter en dehors ce qui se trouve dans le personnage, sa psychologie. Ainsi la jalousie d'une femme de la quarantaine sera matérialisée si elle aperçoit sur le trottoir d'en face son mari au bras de la jeune femme dont je parlais plus haut. Le spectateur assistant à la scène va vivre et partager le sentiment de cette femme et percevoir son désespoir et sa jalousie. On voit d'ailleurs que des personnages naissent pour des fonctions précises; la maîtresse ici ne peut exister que pour matérialiser la jalousie et ne plus apparaître ensuite. Chaque personnage a d'ailleurs une fonction déterminée, parfois à la limite du stéréotype. On peut vouloir filmer ce qui se passe à l'intérieur des gens et le cadre le permet; mais quelquefois le réalisateur ( ou le spectateur) peut avoir envie de se sentir distancié (ou d'être toujours distancié). Si les personnages ont une forte intériorité, on doit se trouver dans leur peau pour bien sentir leurs réactions. La crédibilité du film ne tient que si les personnages sont bien campés, et par extension si le choix du comédien et son interprétation sont cohérents avec ce qu'est le protagoniste.